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      réservation conseillée : https://www.essaion-theatre.com/ FNAC, Billetreduc.

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L’Évangile selon Nadia
Olivier Bellamy

Chroniqueur
La chronique d'Olivier Bellamy

LA CHRONIQUE D’OLIVIER BELLAMY. Dans un théâtre parisien du Marais, Véronique
Soufflet incarne Nadia Boulanger, « le » professeur de musique du XXe siècle. Un miracle.
Publié le 30/10/2024 à 09h00. Culture / LE POINT
C'est une cave d'où l'on aperçoit le Ciel. On est serrés les uns contre les autres, dans un mouchoir
de poche, mais a-t-on besoin d'espace quand on est au Paradis ? Une légère odeur de moisi nous
chatouille les narines, et après ! Bientôt, nous aurons le pain et les roses. Le souffle d'une langue
soutenue et alerte agit sur nos méninges comme un vent d'air frais, le feu d'une pensée libre nous
réchauffe le cœur, le miel d'une rhétorique sensible nous transporte vers les hauteurs d'une grande
âme. Nous sommes dans le salon de Nadia Boulanger. Cheffe d'orchestre, cheffe de chœur, mais
surtout professeure. Professeure redoutable, enragée, infatigable et sublime.
On reconnaît la photo de Lili Boulanger, sa sœur chérie, première femme à avoir remporté le prix
de Rome, compositrice majeure partie à 24 ans. On reconnaît aussi le piano, la bibliothèque et la
TSF qui se trouvaient au 36, rue Ballu (aujourd'hui place Lili-et-Nadia-Boulanger, Paris 9e
) où le
monde entier venait prendre des leçons : Gershwin, Piazzolla, Bernstein, Barenboim, Legrand,
Cosma, Glass, Schifrin, Jones... Leçon de musique, leçon d'existence, leçon d'esthétique et de
morale au sens élevé du terme. Bach était son compagnon (elle jouait par cœur tous ses préludes
et fugues à 12 ans), Stravinsky son ami et Dieu sa lanterne.
La leçon de Bruno Monsaingeon avec le mythe « Mademoiselle »
Un jeune homme paraît sur scène. C'est Bruno Monsaingeon en 1973. Il rentre de Toronto où
vient de s'achever le tournage de sa série sur Glenn Gould qui va révolutionner la musique à la
télévision. Dans l'avion, il a vu un film au succès planétaire, Love Story, où l'héroïne affirme :
« I want to live in Paris to study with Nadia Boulanger » (« Je veux vivre à Paris pour étudier
avec Nadia Boulanger »). C'est dire s'il a rendez-vous avec un mythe, une icône. Pendant cinq ans,
il va recueillir sa parole évangélique, chaque mardi, entre 15 heures et 18 heures. Il en tirera un
livre : Mademoiselle. C'est ainsi qu'on l'appelle, d'abord parce qu'elle est célibataire, mais surtout
par respect, voire par dévotion.
« Mademoiselle » paraît sur scène. Tailleur gris, chignon strict, souliers plats, mais dans les yeux
une sorte d'exaltation de l'intelligence ; ce point inflammable où un être est au fond de lui-même
et au-delà de soi. Sainte Thérèse d'Avila revenue sur Terre pour enseigner la fugue, le contrepoint
et transmettre le langage des dieux. La voix est cassante, le ton rêche, mais la patience infinie.
Sous une règle d'airin, une fantaisie semblable aux miroitements d'un madrigal de Monteverdi,
autre compagnon de vie.
À l'évocation d'un souvenir – Gabriel Fauré, son maître absolu, une cerise goûtée avec délice, ou
son cher Dinu Lipatti, pianiste christique mort à 33 ans –, sa voix s'adoucit, le bleu de ses beaux
yeux s'embue. On la décrit comme un tyran, on la craint, elle fait peur. Mais sous un cilice
scholastique, toute la tendresse, la compréhension et l'amour d'une mère.

Michel Legrand la haïra et l'adorera toute sa vie. Émile Naoumoff en conservera sa voix d'enfant.
Sa « méthode » pédagogique ? Mettre l'élève dans un face-à-face essentiel avec son vrai moi.
Celui qu'on cache et que le grand art ou l'amour vrai révèlent. N'a-t-elle pas renvoyé Gershwin à
New York en l'assurant qu'elle n'avait rien à lui apprendre, ou convaincu Piazzolla que le tango
était son épée d'Excalibur ? Leonard Bernstein recueillera ses dernières paroles. À genoux devant
un corps inerte où la musique vibre encore, même si c'est déjà l'insondable chant des anges.
Véronique Soufflet ne joue pas Nadia Boulanger, elle l'est.
L'interprétation ? À cette tunique de Nessus, Nadia Boulanger préfère le mot transmission. Et
pour cela, une attention maximale, prémices d'une concentration presque inhumaine pour trouver
l'état de grâce qui éclairera, comme malgré soi, en dehors de soi, le chef-d'œuvre de l'intérieur.
« Seul le chef-d'œuvre m'intéresse ! » clame-t-elle. Selon sa loi, ou plutôt sa foi, l'interprète doit

disparaître. Comme disparaît Dinu Lipatti dans Bach ou Chopin jusqu'à faire oublier Bach et
Chopin. « Rendre le mystère sensible », voilà le chemin, voilà l'étoile.
Bruno Monsaingeon (Philippe Tarabay) feint de la contredire, s'amuse à la pousser dans ses
retranchements. Les yeux écarquillés, le corps tendu vers l'infini, elle nous livre des secrets qui
traversent la nuit des temps : « Être tolérant avec les autres et sans merci avec soi-même. »
Soudain, nous sommes projetés dans un cours de musique. Elle nous demande de chanter les
notes supérieures du célèbre premier prélude en do majeur du Clavier bien tempéré : si, la, si, la.
Ce si-la se moque bien de Charybde, et danse dans les bras de Gaïa.
Elle cite souvent Paul Valéry, astre d'alors qui prétendait, en une belle intuition de poète, que le
musicien était l'homme complet. Elle lui emprunte sa devise : « Que je sois tombe ou trésor / Que
je parle ou me taise / Ceci ne tient qu'à toi / Ami n'entre pas sans désir. » La maxime orne le
fronton du palais de Chaillot.
Mademoiselle n'a plus qu'un souffle de vie, mais son esprit est toujours vif, son énergie intacte.
Sur fond de prélude de Lohengrin, sa dernière diatribe ressemble au merveilleux discours de
Charlie Chaplin à la fin du Dictateur. Les deux textes devraient être enseignés dans les écoles.
« Nous pensons trop, nous ne sentons pas assez », dit le barbier juif. Nadia Boulanger va plus
loin : « Il faut sentir avec l'esprit et penser avec le cœur. » Suivre les règles pour mieux les
transgresser.
Véronique Soufflet ne joue pas Nadia Boulanger. Elle est. En disciple fidèle, possédée par sa
mission, elle disparaît dans son personnage. Michel Dodane n'a pas mis en scène, Jean-Luc
Kandyoti n'a pas composé la musique. Ils ont ouvert leurs sens et l'Esprit a soufflé sur eux. Ce
n'est même plus Nadia Boulanger, c'est Socrate ou son daimôn, une lumière de Vérité. Seul le
titre déçoit : Au coin de la rue, la Boulangerie. Pourquoi pas le chemin décroissant ou la
mozzarella ?
On en sort chancelant, ébloui, ému au plus profond de soi. Un spectacle bouleversant, comme il
en existe peu, et qui suffit à justifier une vie.
« Au coin de la rue, la Boulangerie », au théâtre Essaïon, 6, rue Pierre-au-Lard, Paris (4e
). Les

mercredis, à 18 h 45, jusqu'au 18 décembre 2024.

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